Savoureuse humanité - Annick Chenu - 3ème et dernière partie

Ce matin, encore, nous sommes réveillés par la sonnette de la porte d’entrée. Monsieur l’inspecteur! Sans Ronda! Il entre et s’assoit sur un tabouret dans la cuisine. Sandra lui propose une tasse de café. Il accepte. Sandra se sert un bol et s’appuie contre le radiateur.
Je n’aime pas l’odeur du café ça vous détraque l’odorat en un rien de temps et, là, ça m’empêche de respirer le parfum de Ronda. Quant à tenter de flairer directement le pantalon de son maître, je préfère éviter les semelles dures de ses chaussures.
      -Vous êtes venu sans votre chien, inspecteur?
        -Elle est en chaleur et je crains que ça ne fasse du grabuge avec Maxou; c’est bien son nom n’est-ce pas?
Ah! ah! ah! Pauvre type! Toi, par contre, tu peux faire du grabuge avec ma maîtresse, c’est cela? Parce que qu’est-ce que tu lui veux, dis, à 8h du matin?
       -Quelque chose ne va pas inspecteur? Pourquoi cette visite aussi matinale?
L’inspecteur tourne plusieurs fois sa cuillère dans sa tasse avant de répondre.
      -Il y a du nouveau. Apparemment la laisse ne se serait pas cassée toute seule.
      -Vous voulez dire que quelqu’un l’a coupée?
      -Pas coupée : rongée.
Sandra tire un tabouret pour s’asseoir face à l’inspecteur.
      -Les chiens ont réussi à ronger leur laisse?
      -C’est peu probable. Trop près de leur collier. A moins d’être très souple mais je ne crois pas à cette possibilité.
S’il y a bien une qualité qu’ils n’avaient pas ces molosses, c’est la souplesse. Heureusement, sans quoi je ne serais plus de ce monde.
Ma maîtresse regarde l’inspecteur. Elle penche la tête, un sourire incertain sur son beau visage :
       -Vous n’imaginez tout de même pas qu’un être humain aurait pu ronger la laisse des chiens?
Di Ableau se recule contre le mur. Cette femme est vraiment très séduisante. Il toussote avant de reprendre son interrogatoire.
      -William Déhousse avait-il des ennemis?
Sandra ouvre de grands yeux :
      -Bien sûr que non! Tout le monde aimait William!
L’inspecteur remâche les mots plusieurs fois avant de poser la question suivante :
      -Hum ! Et comment ça allait entre vous?
Le silence s’installe pendant que Sandra allume une cigarette et tire longuement sur la première bouffée. Elle souffle lentement un fin nuage vers le plafond.
      -Il y avait des hauts et des bas. Comme dans tous les couples j’imagine. Mais franchement          inspecteur, jamais nous ne nous sommes fâchés au point que je désire ronger la laisse de ses chiens pour qu’ils le dév…
Elle ne peut continuer, secouée de sanglots. Et je panique à nouveau! Trop émotif mais je n’y peux rien. Il faut que je grimpe sur ses genoux, que je lèche ses larmes. Tout pour qu’elle arrête. Mais elle me rejette.
C’est la faute à cet inspecteur! Je me retourne, les babines retroussées et je reste pétrifié : il m’observe fixement. Il soutient mon regard. Je dois me plier. Soumission…Pour l’instant.
Il pose sa tasse vide et se lève.
         -Je vais vous laisser mais j’aurai besoin de recueillir votre déposition. Vous préférez que je revienne ou vous passez au commissariat?
        -Je préfère rester chez moi inspecteur.
        -Demain?
        -Demain.
Sandra le raccompagne à la porte. Annie, sa meilleure amie, sort de l’ascenseur. Sa bouche s’arrondit de surprise lorsqu’elle croise l’inspecteur. Sur sa lancée elle entre dans l’appartement.
        -Mais c’est l’inspecteur Di Ableau!
        -Tu le connais?
        -Mais enfin ma chérie! Tu n’as pas entendu parler de l’affaire des biches?
         -Tu délires darling!
         -C’est étonnant qu’il travaille encore car je pensais qu’il avait été interné.
          -Tu dois faire erreur. Celui-ci est parfaitement normal. Froidement normal.
Elles vont dans la cuisine. Je suis paralysé! Si cet inspecteur a des soupçons, il ne me lâchera pas. Il voudra se rattraper du scandale des biches sur mon dos! Ses yeux tout à l’heure!
Mais il n’a pas de preuves! Et il n’en trouvera pas. Non, car j’ai pensé à tout!
Tout, sauf à l’arrivée de cet inspecteur là précisément : le seul assez fou pour me soupçonner. Les cris de ma maîtresse me délivrent de mes angoisses.
       -Maxou! Ta gamelle est prête.

Tout en mâchant mes croquettes je repense à William. Je suis d’accord sur un point avec ma maîtresse: il avait bon goût! Quand ses deux chiens se sont couchés pour digérer leur maître je dois avouer que l’odeur du sang m’avait déjà rendu à moitié fou. Seule la prudence m’avait retenu. Les monstres endormis, je me suis glissé de dessous le lit. J’ai eu juste le temps de saisir un petit bout et de me sauver par la chatière. Caché derrière une poubelle j’ai laissé le jus me couler dans la gorge avant de faire glisser la viande. C’était tendre. Rien à voir avec les morceaux de steak trop cuit que ma divine maîtresse me donne…Ou encore ces croquettes… Oui, il était bon William…Je me demande si les hommes sont tous aussi savoureux…


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